Jeudi, 23 Mai, 2019 – Alain Ruscio
Sous le soleil, les armes Philippe Laïk Le Temps des cerises, 327 pages, 20 euros
Le nom de Philippe Laïk évoque, d’abord, pour les nostalgiques de la « belle télé d’antan », du studio des Buttes-Chaumont – dont je suis –, un réalisateur de haute volée qui assura bien des joies durant des dizaines de soirées familiales. Mais l’auteur eut une existence avant la télé. Et la tranche de vie qu’il s’est décidé à écrire, des décennies après les faits, a un nom : guerre d’Algérie. Car le « soleil » dont il est question dans le titre n’est pas celui d’une aimable exposition au bronzage, mais bien celui d’une guerre coloniale, dans laquelle furent jetés, à leur corps – et à leur esprit – défendant, des centaines de milliers de jeunes qui eurent le malheur d’avoir 20 ans au milieu de la décennie 1950. D’où l’autre mot-clé du titre : les « armes ». « Sa vie, ce n’était pas du cinéma, et pourtant, ça l’était déjà », écrit Gérard Mordillat en quatrième de couverture. Il existe, malgré les idées reçues sur la question, de très nombreux récits de vie sur cette guerre d’Algérie. Aucun n’est insignifiant, car chacun porte une douleur, une blessure non cicatrisée.
L’ouvrage de Philippe Laïk vient s’ajouter à cette liste. L’auteur décrit, lui aussi, les drames de la guerre, la répression contre un peuple qui ne demandait « que » l’indépendance. Et la peur qui saisit les pauvres appelés lors des accrochages sanglants. Le titre du livre aurait tout aussi bien pu être « Sous le soleil, les larmes ». Mais il y a également, soigneusement retranscrits grâce à une mémoire semble-t-il hors du commun, des moments de vraies relations humaines. Avec ses copains d’infortune, ces bidasses dont aucun n’adhérait à la fable de la « défense d’un territoire français » : cela, Philippe Laïk le décrit très scrupuleusement, confirmant bien des études et d’autres témoignages. Il y a aussi les moments de vrai bonheur : les rares permissions, la réception du courrier de la famille, des amis restés dans le civil… Et puis les rencontres amoureuses (l’auteur n’oublia jamais, même à la pire période algérienne, de jouir de chaque instant). Lors de son incorporation, Philippe Laïk était déjà un féru de cinéma, un cinéphile. Il voulait en faire son métier. Cinéphile ? Le capitaine qui l’incorpora, qui n’avait sans doute pas inventé la poudre – ce qui est grave pour un officier –, comprit « cynophile »… et lui fit suivre une formation de maître-chien. C’est sur des détails comme cela que l’on reconnaît les grandes armées. Philippe accomplit cette tâche, perdant lors d’un accrochage son fidèle compagnon, une victime innocente de plus.