Les films de Malek Bensmaïl, cinéaste majeur, sont visibles sur internet, même ceux interdits en Algérie et en France comme le Grand Jeu pour ne pas déplaire à Bouteflika et ne pas égratigner le locataire de l’Elysée d’alors. C’est l’occasion de revenir sur sa filmographie qui développe une très aiguisée critique sur l’état du pays tant par rapport à sa tumultueuse histoire qu’au temps présent, une situation rendue dans toute sa complexité, ce qui fait des films des œuvres foisonnantes qui ont été primées par au moins un prix. Aborder son œuvre à deux voix, la sienne et la nôtre, sur le mode de l’échange plutôt que de l’interview, nous a paru tout indiqué.
-Dans votre filmographie, vous avez réalisé des documentaires de deux types. Les uns pourraient être classés dans un format proche de celui de la télé et les autres de celui de cinéma. Ces derniers sont plutôt des docs de création…
Disons que ce qui prime, c’est l’idée d’abord de faire des films afin d’enregistrer une mémoire collective. Le documentaire, pour moi, c’est la narration du réel. Après je ne me focalise pas sur un certain style.
Chaque sujet doit trouver sa forme, son questionnement. Il n’y a pas de style TV ou cinéma à mon sens, il y a une écriture qui s’adapte au sujet même du film. Je pense qu’il est plus important de raconter les strates de notre pays et sa complexité, que de se focaliser sur son propre style. Certains sujets comme l’enfance, la folie, la presse, la famille, sont filmés dans un style de cinéma direct et poétique, d’autres films, plus dans l’intimité d’un témoignage (politique et historique) relèvent d’une narration apparemment plus classique mais qui en fait travaillent plus en profondeur les témoignages (La Bataille d’Alger, un film dans l’Histoire, Algéries(s) ou Boudiaf, un espoir assassiné).
Ce qui est le plus important, à mon sens, et de questionner les thèmes importants et les mutations de notre société et ainsi d’archiver peu à peu, au fil des années une mémoire collective algérienne. Cela me semble plus passionnant que d’archiver son propre style et au final s’enfermer dans son propre musée, non ? Pour moi, ça en deviendrait lassant.
J’essaye donc de renouveler les écritures selon les sujets abordés. Donner à écouter les voix des militants de la guerre (exemple le film Guerres secrètes du FLN en France) me permet de filmer au plus près les visages et une histoire incroyable en allant chercher des archives, quasi dans l’épure, alors que filmer une classe et des enfants dans un village des Aurès («La Chine est encore loin»), ouvrent les possibilités des espaces, des paysages et des mises en scène. C’est le même style mais avec des ingrédients et matières différents.