Choc intime, séisme collectif : nous sommes tous les enfants de la guerre d’Algérie

Les appelés de la guerre d’Algérie sont souvent revenus abimés par leur expérience de la mort, de la torture, de la violence. Mais leur traumatisme sourd a irradié toute la société française. Une grande enquête montre comment ils sont revenus, et pourquoi leur histoire est devenue la nôtre.

Un livre très important a paru à la rentrée 2020, signé de l’historienne Raphaëlle Branche, qui s’intitule Papa qu’as-tu fait en Algérie ? Une enquête forgée au plus près de la trajectoire d’appelés envoyés faire la Guerre d’Algérie à une époque où l’on disait encore qu’il s’agissait seulement d’une opération de maintien de l’ordre. Mais aussi, et cette fois-ci d’abord, une enquête ciselée par le témoignage de leurs proches, et en particulier la famille de ces gars de 20 ans envoyés faire leur service militaire de l’autre côté de la Méditerranée. Une famille qui se déplie sur le temps long et plusieurs générations successives : pour documenter le silence qui entoure depuis soixante ans l’expérience de la Guerre d’Algérie, Raphaëlle Branche a restauré ces histoires dans leur contexte intime pour qu’on touche de plus près, et plus profondément, le fracas sourd de l’écho de cette aventure nationale dans les vies ordinaires.

Que ce soit celle qu’on risque ou celle qu’on donne (et qu’on est autorisé à donner), c’est l’expérience de la mort que ces jeunes sont partis faire là-bas, alors que souvent ils n’avaient même pas atteint la majorité. De quoi faire d’eux la troisième génération du feu, de fait. Sauf que, longtemps, et durablement, on a tu pour cette génération-là “le feu” puisqu’on n’a pas prononcé le mot “guerre”. Collectivement, ils étaient les petits-enfants de combattants de 14-18 et les statistiques nous disent que, pour plus d’un, ils avaient été élevés par leurs grands-parents dans des foyers où l’on contemplait encore sur la cheminée le visage de ceux qui y étaient restés. Or eux étaient ainsi partis faire une guerre sans nom. Pour finalement en revenir et se consumer faute d’avoir les mots pour eux. C’est-à-dire, des mots pour se dire eux-mêmes, alors que durablement les associations d’anciens combattants, fondées sur les cendres de la Grande guerre, ont rechigné à les considérer comme tels. Et sans les mots pour dire ce qu’ils avaient pu vivre là-bas, et que les médias avaient largement euphémisé.

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