27 janv. 2021
Par François Gèze
Blog : Le blog de François Gèze
« Nous avons subi un véritable Diên Biên Phu psychologique », expliquait un officier français en décembre 1960, au lendemain du formidable mouvement populaire contre l’occupation coloniale qui venait de soulever l’Algérie plusieurs jours durant. C’est l’histoire méconnue de ce moment majeur de la guerre d’indépendance que retrace le livre (et le film) de Mathieu Rigouste, « Un seul héros, le peuple ».
Mathieu Rigouste, Un seul héros, le peuple. La contre-insurrection mise en échec par les soulèvements algériens de décembre 1960, Premiers Matins de novembre, Paris, mars 2020, 388 p., 24 €.
Voici un livre d’histoire contemporaine comme on aimerait en lire plus souvent. Son auteur, Mathieu Rigouste, se définit comme « chercheur indépendant en sciences sociales ». Il est vrai qu’après la publication d’une adaptation bienvenue de sa thèse d’État sous le titre L’Ennemi intérieur. Une généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine (La Découverte, 2009), ses engagements militants parallèles n’ont pas facilité sa recherche de poste dans l’université. Au point de le conduire à renoncer définitivement à cette quête afin de poursuivre ses recherches historiques en « free-lance », avec une rigueur méthodologique qui n’a toutefois rien à envier à celle des meilleurs historiens « académiques ». C’est ce que montre ce nouvel ouvrage, fruit d’une recherche méticuleuse de sept années, conduite en France et en Algérie, dans les archives et auprès de nombreux témoins. L’auteur y donne à voir dans son ampleur et sa diversité la réalité du formidable mouvement populaire contre l’occupation coloniale qui souleva toutes les villes du pays pendant plusieurs jours, à la mi-décembre 1960.
La mise en échec de la contre-insurrection « à la française »
L’entreprise présente un intérêt historiographique essentiel, dans la mesure où elle bat en brèche une certaine vulgate sur l’histoire de la guerre d’Algérie expliquant que, après les terribles répressions infligées par l’armée française, tout particulièrement de 1957 à 1959, le mouvement nationaliste incarné par le FL N et l’ALN était pratiquement détruit. Et que cette « victoire militaire » de la France ne serait devenue une « défaite politique » que du fait du renoncement de De Gaulle à l’« Algérie française », perçu comme une « trahison » par une majorité de colons et par une minorité significative d’officiers. Cette vulgate, longtemps dominante en France dans les quatre décennies postindépendances, a heureusement été depuis sérieusement infléchie par nombre de travaux plus rigoureux, dont ceux, à partir des années 1990, de Raphaëlle Branche, Hartmut Elsenhans, Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Benjamin Stora ou Sylvie Thénault.
Si ces auteurs n’ignorent pas les soulèvements de décembre 1960, force est de reconnaître que cet épisode pourtant majeur n’a pas fait l’objet d’investigations aussi poussées que nombre d’autres moments ou thématiques de la guerre d’indépendance. D’où l’importance du travail de Rigouste qui, non seulement comble utilement une sérieuse lacune historiographique, mais redonne aussi à l’événement toute sa signification politique et restitue son rôle décisif et méconnu dans le chemin encore long et douloureux qui allait conduire, dix-huit mois plus tard, à l’indépendance.