Ce que la fiction révèle sur la guerre d’Algérie

Demain, ils n’oseront pas nous assassiner, Joseph Andras a stupéfié la France lors de sa sortie – et reste également d’une pertinence frappante dans les débats nationaux sur le colonialisme d’aujourd’hui.

Dans un essai peu connu de 1947 Humanism and Terror , le philosophe français Maurice Merleau-Ponty affirmait qu ‘«une société n’est pas le temple des idoles de valeur qui figurent sur le devant de ses monuments ou dans ses rouleaux constitutionnels; la valeur d’une société est la valeur qu’elle accorde à la relation de l’homme avec l’homme. Il critiquait ce qu’il considérait comme un libéralisme français grandiose, trop épris de ses idéaux pour voir ce qui se faisait en son nom. «Pour comprendre et juger une société», a-t-il poursuivi, «il faut pénétrer sa structure de base jusqu’au lien humain sur lequel elle est construite; cela dépend sans aucun doute des relations juridiques, mais aussi des formes de travail, des manières d’aimer, de vivre et de mourir.

Merleau-Ponty écrivait à une époque de débats incendiaires parmi les intellectuels de la France d’après-guerre. Des philosophes de gauche comme Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, se trouvant pris entre le capitalisme à l’américaine et le communisme à l’URSS, se sont demandé s’il y avait une alternative à l’un ou l’autre. ( Humanism and Terror était en partie une réponse à Darkness at Noon d’Arthur Koestler , un roman sur les procès de Staline dans les années 1930.) Des amitiés se sont formées et déchirées au cours de discussions sur l’utilisation de la violence au service de la révolution. Merleau-Ponty rompt avec Sartre et Beauvoir sur leur défense continue de l’Union soviétique.

Puis, en 1954, un autre bouleversement historique relancera rapidement le débat sur la violence, la politique et la révolution: la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Elle a provoqué ses propres divisions, notoirement entre Sartre, qui louait le potentiel émancipateur de la violence révolutionnaire – notamment dans son introduction aux Misérables de la Terre de Frantz Fanon (1961) – et Albert Camus. Camus, un pied noir algérien d’origine européenne, a d’abord soutenu que la violence pouvait rapidement se transformer en nihilisme dans The Rebel (1951); plus tard, il est monté sur un podium devant un large public à Alger pendant la guerre, proposant une «trêve civile» et demandant à la foule de renoncer au «massacre d’innocents». Son attitude hésitante à l’égard de l’indépendance algérienne suscite encore des désaccords en Algérie aujourd’hui – tout commedébats en France sur la laïcité, l’islam et les survivances coloniales de la nation.

La fiction est une manière de confronter le paradoxe de Merleau-Ponty entre l’écart des idéaux et la réalité vécue. Il peut bouleverser les dictons de notre temps et parler de nos modes de vie, d’aimer et de mourir contemporains qui ne font pas la une des journaux ou dans les discours des politiciens. Ou, comme Fernand Iveton, le protagoniste du roman de Joseph Andras de 2016, Demain ils n’oseront pas nous assassiner , traduit par Simon Leser, le dit en référence aux attitudes françaises face aux revendications d’indépendance algériennes: «Nous les mettons derrière les barreaux et abolissons leurs fêtes, dissoutes, réduites au silence, et puis nous nous tenons si hauts avec Culture, Liberté, Civilisation, ces majuscules, défilées de haut en bas.

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