Enseigner l’épineuse guerre d’Algérie Comment traiter un sujet encore délicat dans l’actualité?

Le 5 juillet 2022, l’Algérie célébrera du 60e anniversaire de son indépendance. Celle-ci s’est fait à la suite d’un conflit qui reste encore très sensible autant dans l’ancien pays colonisateur, la France, que celui qui s’est libéré. Ce conflit qui aura duré presque 8 ans entre 1954 et 1962 aura fait nettement au-dessus de 250 000 morts coté algérien, mais peu de chiffres font consensus, sinon les 25 000 soldats français tués comptabilisés. Pourtant, cette période historique passe souvent inaperçue en éducation, autant que celle la précédant, guère plus glorieuse.

Pas des excuses, mais de l’éducation

En janvier 2021, l’historien Benjamin Stora remet un rapport au président Emmanuel Macron. Celui-ci avait effectivement demandé un document « sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Pour le spécialiste, nul doute que la France doit davantage commémorer ce qui s’est passé en créant, par exemple, une commission « Mémoire et vérité » donnant la parole aux survivants de la guerre. La question de la coopération entre les deux pays se veut aussi primordiale afin d’abaisser les tensions.

Plus facile à dire qu’à faire car bien que monsieur Macron ait reconnu en 2018 le massacre des Harkis, des Algériens qui ont combattu sous le drapeau français, le 30 septembre 2021, il accuse le pouvoir algérien en place d’avoir expurgé les « vérités » de récit national et questionne même l’existence de la nation algérienne. Un dérapage qui a mis mal à l’aise Benjamin Stora lui-même.

Pour l’historien, des excuses sur le passé colonial n’apporteraient rien et ne règleraient pas les problèmes de fond qui à son avis repose sur un racisme ancré et des préjugés sur une guerre très mal enseignée en France. D’ailleurs, les mesures phares sont la facilitation du travail d’archive sur cette période et de beaucoup mieux transmettre le récit de ce conflit auprès des jeunes.

Une guerre? Quelle guerre?

En effet, pendant de longues années après les échauffourées, la guerre d’Algérie ne figure dans aucun manuel d’histoire. Il faudra attendre 1983 avant que cela entre officiellement dans le programme. Malgré cette entrée, cela ne signifie pas que le tout est enseigné dans les détails. Bien au contraire, les manuels souligneront surtout les mauvais côtés des belligérants en omettant les méthodes de torture, entre autres, utilisée par les forces françaises pour garder sa mainmise sur le pays.

Il faut comprendre que le fait colonial, en France, a longtemps été inculqué comme une source de fierté. Dès la troisième République, l’enseignement insistait à grands traits sur les bienfaits de la colonisation, la mission « civilisatrice » envers ces « populations sous-développées ». Après tout, les Français ne leur ont-ils pas apporté des routes, des écoles et des hôpitaux? Encore en 2019, un exercice offert par un enseignant au premier cycle abordait ce « triptyque bienfaiteur » en occultant bien des aspects moins reluisants. Pour beaucoup d’historiens, la question coloniale ne se résume plus à du « bien et mal ». Il s’agit plutôt d’un contexte complexe qui ne peut reposer sur une grille manichéenne.

Voilà pourquoi, selon Stora, un enseignement plus en nuances et une réelle plongée dans ce conflit permettrait de sortir des débats stériles et de réunir deux nations qui, en fin de compte, ont souffert pendant cette période. D’autant plus que les enfants des migrants d’Algérie en France vivent une véritable dissonance entre ce qu’ils lisent à l’école et entendent à la maison. En omettant de marquer les actes moins glorieux de l’armée française envers la population, l’État donne l’impression à cette diaspora algérienne qu’il veut étouffer l’affaire. Rien pour instaurer un climat de paix et de réconciliation.

Donner un visage au conflit

Alors, comment l’école peut-elle aborder ce sujet encore épineux dans la population française? Traiter en quelques heures un conflit aussi complexe avec des concepts marqués comme les harkis, le putsch des généraux ou les pieds-noirs n’est pas simple. Néanmoins, pour les spécialistes en histoire, l’enseignant peut aller plonger dans les mémoires de guerre. Les archives françaises peuvent être un point de départ d’une réflexion sur le sujet. D’autant plus qu’une déclassification de celles-ci en mars 2021 pourrait permettre un portrait encore plus clair de ce qui s’y est réellement passé.

Sinon, l’usage du cinéma peut aussi être une entrée à la matière. Il faut le dire, la période traumatisante a alimenté l’intérêt des cinéastes français et algériens. À une époque, ceux-ci parlaient surtout de ces soldats qui partaient ou revenaient du conflit (exemples : Les parapluies de Cherbourg, La Belle Vie, Cléo de 5 à 7). Depuis, le cinéma s’intéresse davantage à ce qui s’est passé durant la guerre. Uniquement en 2007, 3 films différents racontaient diverses histoires dans cette période charnière.

Comme le rappelle cet historien, il est aussi important d’avoir des images et témoignages réels de la guerre d’Algérie. Cette exposition numérique offre l’occasion à des historiens et des gens ayant vécu le conflit d’expliquer les diverses notions. Évidemment, des sites comme l’INA possèdent plus d’une vingtaine d’extraits montrant la couverture médiatique française et du traitement dans les décennies suivantes. Enfin ce site s’adresse aux enseignants utilisant Lumni en version éduthèque. Ils pourront avoir accès de nombreuses vidéos sur l’évolution de l’attitude du pouvoir français envers le sujet au fil de la guerre.

Il est toutefois difficile d’obtenir des documents provenant d’archives algériennes puisque celles-ci ont été malmenées par le pouvoir français à l’aube de la fin du conflit. Néanmoins, il est possible de s’intéresser aux médias de ce pays et le traitement de l’affrontement, au cinéma algérien qui l’aborde, etc.

Le but de tout ça n’est pas, contrairement à ce que certains polémistes aimeraient croire, de pointer uniquement du doigt les responsables français mais plutôt d’offrir un panorama complet avec toutes ces zones d’ombres. Afin qu’une telle tragédie ne se renouvelle.

Références :

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Chanda, Tirthankar. « L’enseignement De La Guerre D’Algérie En France: Entre Histoire Et Mémoire. » RFI. Dernière mise à jour : 8 mai 2021. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210508-l-enseignement-de-la-guerre-d-alg%C3%A9rie-en-france-entre-histoire-et-m%C3%A9moire.

Deszpot, Thomas. « La Guerre D’Algérie Et La Colonisation Ont-elles Longtemps été Passées Sous Silence à L’école ? » LCI. Dernière mise à jour : 21 janvier 2021. https://www.lci.fr/societe/la-guerre-d-algerie-et-la-colonisation-ont-elles-longtemps-ete-passees-sous-silence-a-l-ecole-2176186.html.

« France-Algérie : Peut-on Réconcilier Les Mémoires ? » Lhistoire.fr. Dernière mise à jour : 11 février 2021. https://www.lhistoire.fr/entretien/france-alg%C3%A9rie-peut-r%C3%A9concilier-les-m%C3%A9moires.

« France-Algérie: Benjamin Stora Répond Aux Critiques Sur Son Rapport. » BFMTV. Dernière mise à jour : 25 janvier 2021. https://www.bfmtv.com/societe/france-algerie-benjamin-stora-repond-aux-critiques-sur-son-rapport_AD-202101250300.html.

« Guerre D’Algérie : Ce Qu’il Faut Retenir Du Rapport Stora Remis Aujourd’hui à Emmanuel Macron. » Franceinfo. Dernière mise à jour : 20 janvier 2021. https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/guerre-d-algerie-ce-quil-faut-retenir-du-rapport-stora-remis-aujourdhui-a-emmanuel-macron_4265199.html.

«  »La Guerre D’Algérie. Histoire Commune, Mémoires Partagées? » : Nouveau Volet Numérique De L’exposition. » Office National Des Anciens Combattants Et Victimes De Guerre. Dernière mise à jour : 15 janvier 2019. https://www.onac-vg.fr/actualites/la-guerre-algerie-histoire-commune-memoires-partagees-nouveau-volet-numerique-de.

Lahmar, Amina. « Guerre D’Algérie : La Différence Entre Le Discours Familial Et Mes Manuels Scolaires. » Bondy Blog. Dernière mise à jour : 5 juillet 2021. https://www.bondyblog.fr/opinions/guerre-dalgerie-la-difference-entre-le-discours-familial-et-mes-manuels-scolaires/.

Moumen, Abderahmen. « Comment Enseigner La Guerre D’Algérie ? » Chaire Citoyenneté Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Dernière mise à jour en novembre 2019. https://chairecitoyennete.com/enseigner-la-guerre-algerie/.

Ricouard, Jean-Marc. « La Guerre D’Algérie à Partir Des Images D’actualité. » Lumni | Enseignement. Dernière mise à jour : 8 janvier 2021. https://enseignants.lumni.fr/parcours/0009/la-guerre-d-algerie-a-partir-des-images-d-actualite.html.

Sandoz, Aurélien. « Enseignement De La Guerre D’Algérie : « Au Lieu De Nous Diviser, Comprendre L’histoire Nous Unit ». » Le Monde.fr. Dernière mise à jour : 23 mars 2021. https://www.lemonde.fr/education/article/2021/03/23/enseignement-de-la-guerre-d-algerie-au-lieu-de-nous-diviser-comprendre-l-histoire-nous-unit_6074120_1473685.html.

Stora, Benjamin. « La guerre d’Algérie dans les médias : l’exemple du cinéma. » Cairn.info. Dernière mise à jour en 2008. https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-3-page-33.htm.

Véronique, Paul, et Charlotte Lalanne. « France-Algérie : Le Malaise Des Historiens Après Les Propos D’Emmanuel Macron. » LExpress.fr. Dernière mise à jour : 14 octobre 2021. https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/france-algerie-le-malaise-des-historiens-apres-les-propos-d-emmanuel-macron_2160348.html.

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