Moi, je ne suis ni petit-fils d’appelé, ni petit-fils d’immigré, de Pied-noir ou de Harki. La guerre d’Algérie, comme tout le monde, j’en ai beaucoup entendu parler pour dire qu’on en parlait peu et qu’elle nous divisait. Pourtant, au cours de mes recherches, j’ai vu défiler de nombreux jeunes désireux d’en parler sans animosité. La colonisation, la guerre d’Algérie et les exils ont laissé des traces nombreuses et profondes sur la société française.
39% des jeunes Français ont un lien familial avec cette histoire. Pour eux, l’Algérie est un héritage intime : c’est ce qui explique la tristesse dans le regard suspendu d’un grand-père un soir d’été, ce sont ces bricks à l’œuf partagés chaque vendredi, ces insultes en langue arabe ou… sur les Arabes. Beaucoup de jeunes interrogent ces traces pour comprendre leurs origines familiales, leurs identités et la société française.
Sur la base d’une enquête sur 3 000 personnes âgées de 18 à 25 ans et de 75 entretiens avec des petits-enfants d’appelés, de Pieds-noirs, de Harki, de Juifs d’Algérie, de militants au FLN ou à l’OAS, cet ouvrage propose une exploration de la part algérienne de la France et du rapport des jeunes Français à la guerre d’Algérie et à ses conséquences intimes et politiques. Il permet à la fois de faire le constat de ce que les jeunes savent et retiennent de la colonisation et de la guerre d’Algérie, de ce qui a été transmis dans les millions de familles affectées par cette histoire puis de comment cette nouvelle génération interprète, négocie et utilise ces traces avec lesquelles nous vivons encore. Plus généralement, cette recherche interroge le rôle de la mémoire collective sur la construction identitaire et la socialisation politique des jeunes.
Ainsi les tensions mémorielles que nous avons l’habitude d’associer à la guerre d’Algérie ne sont pas à chercher parmi les descendants de cette histoire. Elles relèvent davantage des clivages politiques. La colonisation et la guerre d’Algérie ont donné naissance non pas à un cloisonnement des mémoires mais à un cloisonnement des cultures politiques, coloniale d’une part et anticoloniale. Ce clivage s’est prolongé dans le soutien ou l’opposition à Mai 68, à la peine de mort en 1981, aux mouvements de l’immigration des années 1980. Il se fixe aujourd’hui sur l’acceptation ou le refus d’une société française créolisée.
Les démarches mémorielles poursuivant un objectif d’apaisement qui feraient abstraction de cette réalité ne sauraient réaliser leur objectif. Les jeunes descendants n’ont pas à se réconcilier car ils ne se sont pas affrontés et n’ont pas de visions antagonistes du passé. Mais la clarification de notre rapport moral et politique à la colonisation d’une part et le travail d’histoire et de démocratisation de l’écriture de la mémoire d’autre part semblent davantage être le chemin. Les attentes des jeunes sonnent comme des exigences démocratiques tant elles pointent la nécessité d’améliorer les cadres de la connaissance, un renforcement des échanges entre générations, entre jeunes et avec les Algériens, une démocratisation de l’accès à la parole et une lutte plus ambitieuse contre le racisme et l’antisémitisme.
Auteur : Paul Max Morin est docteur en science politique, chercheur associé au Cevipof et enseignant à Sciences Po, également co-auteur du podcast Sauce Algérienne produit et diffusé par Spotify