Benjamin Stora étudie la guerre d’Algérie depuis trente ans. Il est l’auteur du rapport France-Algérie, les passions douloureuses, remis à Emmanuel Macron le 20 janvier 2021, et a travaillé avec le groupe « Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes » composé de Français, d’Algériens et de binationaux.
Ca m’intéresse Histoire : Pourquoi la guerre d’Algérie crée-t-elle une fracture au sein de la société française ?
Benjamin Stora : La fin de la colonisation en Algérie a provoqué une guerre civile franco-française, ce qui n’a pas du tout été le cas au Maroc, en Tunisie ou en Indochine. L’Algérie, c’était trois départements français, un morceau du territoire national. Par conséquent, ce conflit est plus profond qu’une simple guerre décoloniale. Il est vécu comme une crise du nationalisme où deux conceptions de la nation française s’affrontent. Il y a une fracture entre ceux qui pensent que l’Algérie aurait dû rester française et ceux qui pensent au contraire que c’était l’heure de la décolonisation.
Quel est le rôle de l’Etat français dans le maintien de ces divisions ?
Dès 1962, la France a mis en place une politique d’amnisties. La première date du 18 mars 1962 : ce sont les accords d’Evian. La seconde a lieu après les événements de mai 1968. Le général de Gaulle amnistie d’anciens responsables de l’OAS, ainsi que le député Jacques Soustelle qui les a soutenus. Il y a ensuite l’amnistie de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974. Puis, une dernière de François Mitterrand, en 1982, accordée à des généraux ayant participé au putsch de 1961. La seule fois où les exactions et les actes de torture ont été évoqués, c’est lors du procès de Maurice Papon. Mais le procès concernait sa responsabilité dans la déportation de Juifs sous Vichy. C’est grâce à des militants que son rôle de préfet pendant le massacre des manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961 a été abordé. Personne n’a jamais été jugé sur la politique menée pendant la guerre d’Algérie. Cette occultation empêche le travail de mémoire. Comme il n’y a pas de débat public, on reste dans le déni. Les autorités algériennes, de leur côté, sont coupables de reconstruction de leur histoire. Elles ont mis au secret des pans entiers, omettant les récits des adversaires du FLN. Ces deux attitudes ont fabriqué des mémoires tronquées et rendent la réconciliation très difficile.