EVÉNÉMENT 50e ANNIVERSAIRE DU CESSEZ-LE-FEU EN ALGÉRIE
GUERRE D’ALGÉRIE : FORUM DES ÉCRIVAINS
DU 26 AU 28 OCTOBRE 2012 À LA MAIRIE DU Ve ARRDT
TOUT LIRE SUR LA GUERRE D’ALGÉRIE
Intervenants
Lydia Aït Saadi Bouras, Aleth Briat et Benoît Falaize
Débat animé par Pierre Wiehn
Pierre Wiehn : Nous traitons aujourd’hui d’un thème qui au départ m’a un peu effrayé, puisqu’il s’agit de l’enseignement de la Guerre d’Algérie. Enseigne-t-on cette guerre et comment ? Autour de cette table sont réunies des personnes qui ont une qualification liée à l’enseignement de l’Histoire en général, et pas seulement sur le thème de la Guerre d’Algérie. Tout d’abord, Aleth Briat, membre de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG). C’est dire que tout ce qui concerne la pédagogie du domaine historique lui est familier. Lydia Aït Saadi Bouras, qui est l’auteur d’une thèse intitulée « La nation algérienne à travers les manuels d’histoire algériens », sous la direction de Benjamin Stora. Et le professeur Benoît Falaize de l’université de Cergy-Pontoise, qui s’intéresse de façon approfondie aux méthodes pédagogiques, celles donc de la transmission de la connaissance et du savoir. Tout d’abord, l’enseignement de l’histoire de la Guerre d’Algérie existe-t-il ?
Aleth Briat : Établissons tout d’abord la situation actuelle de l’enseignement de l’Histoire. Il faut préciser qu’en France, depuis deux ans, une réforme importante a eu lieu dans l’enseignement de l’Histoire au lycée. Ainsi, dans les classes de terminale S, sections scientifiques fréquentées par la moitié des effectifs de lycéens, l’histoire a été supprimée. Pour la première fois dans l’histoire de la République, une classe de lycée s’est vue supprimer cette matière. Les programmes d’histoire ont été de ce fait remaniés. Ce qui était enseigné sur trois ans l’est maintenant en deux ans dans toutes les classes d’enseignement général. Les classes de S passent l’examen d’histoire du bac en fin de première mais peuvent la prendre en tant qu’option en terminale. Pour les sections L et ES ils ont en terminale un nouveau programme et passent le bac Histoire à la fin de cette année de terminale. On a depuis changé de gouvernement et ce dispositif sera peut-être revisité ! On a également des problèmes d’horaires au collège et surtout en classe de troisième. Je rappelle que l’APHG a tenu des états généraux à ce sujet afin d’alerter l’opinion publique française sur ces problèmes qui nous paraissent importants. Ainsi, avec de telles dispositions, il sera très difficile d’enseigner la Guerre d’Algérie. Depuis des années, nous nous intéressons à ce sujet. Nous avons tenu des ateliers, des colloques, effectués des publications sur la Guerre d’Algérie.
Pïerre Wiehn : Aleth Briat, pouvez-vous nous expliquer comment s’organise l’enseignement de l’Histoire en collège et en lycée et ce qu’il contient ?
Aleth Briat : En classe de troisième, en histoire-géographie, ils ont en principe deux heures trente hebdomadaires y compris l’éducation civique. Au programme, ils étudient le monde après 1914. Et pour ce qui est de notre thème, ils l’abordent dans un ensemble intitulé « Des colonies aux États nouvellement indépendants », où l’on étudie les revendications d’indépendance après la Seconde Guerre mondiale, les processus d’indépendance et la naissance des nouveaux États ainsi que quelques problèmes de développement. De plus, les professeurs ont le choix entre l’étude de la décolonisation de l’Inde et celle de l’Algérie. À la lecture du Bulletin Officiel de l’Éducation nationale (BO), on s’aperçoit que c’est la première qui est largement choisie (le choix de l’enseignant étant effectué selon le public qu’il a devant lui).
Benoît Falaize : Pour les premières, l’amplitude horaire est de quatre heures hebdomadaires et pour les terminales également, toujours avec la géographie et l’instruction civique. Il faut noter qu’en terminale, on observe une grande nouveauté dans l’histoire de l’enseignement : le professeur peut choisir à l’intérieur d’un chapitre intitulé « Les historiens et la mémoire » entre un thème sur la Seconde Guerre mondiale et un autre sur la Guerre d’Algérie, ce qui veut dire qu’on peut travailler sur la manière dont les historiens travaillent depuis 1945 sur la Seconde Guerre mondiale et depuis 1962 sur la Guerre d’Algérie. On se rend compte que c’est la Shoah qui est très largement choisie.
Aleth Briat : Pour ma part, les professeurs que j’ai interrogés à ce sujet m’ont dit qu’ils avaient préféré choisir la mémoire de la Seconde Guerre mondiale car elle leur semblait avoir été trop mal étudiée précédemment.
Pierre Wiehn : Et puis cela évite les conflits… Vous avez évoqué le fait que l’on avait le choix entre la décolonisation de l’Inde et celle de l’Algérie. J’imagine que tout le monde a choisi celle de l’Inde ! Elle cause moins de soucis ! De plus, cet enseignement est-il suffisant ? Car, quand on discute avec des jeunes gens, on découvre que l’ignorance est la chose la mieux répartie du monde. C’est fâcheux pour un peuple, qui a besoin d’être ferme par rapport à sa propre Histoire, qu’il l’ignore largement. L’Algérie est un élément constitutif de ce que nous sommes. Donc, de ce point de vue cela paraît peu de choses en matière d’option. C’est quelque chose que l’on fait après le basket-ball, quand on a le temps. Avec l’espoir que vous me répondiez négativement, Benoît Falaize, est-il juste de raisonner ainsi ?
Benoît Falaize : C’est l’ancien basketteur qui intervient ici. Que reste-t-il dans la culture des enfants du traité de Westphalie de 1648 et de la diplomatie de Mazarin ? Plus rien, et cela n’émeut personne. C’était l’un des cœurs du programme car l’on y fixait la répartition de l’Europe entre chrétiens protestants et chrétiens catholiques dans une Europe en construction. Autrement dit, les programmes d’histoire et les sujets abordés en classe répondent aux préoccupations du présent. Aujourd’hui, on n’en a plus rien à faire de cette répartition, ce n’est plus un sujet. Mais il l’a été lors de la séparation des Églises et de l’État en 1905. C’est pour cela qu’on a introduit cette notion à cette époque. Aujourd’hui, on sent bien que les débats qui traversent la société interrogent en permanence le milieu scolaire et sollicitent les éducateurs. Et il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui, la question de la Guerre d’Algérie soit de plus en plus sollicitée ; en tous les cas qu’une demande de l’école soit plus présente.
Pierre Wiehn : Comment décririez-vous la chronologie des sujets nouvellement abordés en histoire ces dernières années ?
Benoît Falaize : Pour reprendre la petite chronologie qui a été faite tout à l’heure, il est vrai que le premier sujet mémoriel qui a été traité en classe a été la responsabilité du gouvernement de Vichy dans la déportation des Juifs et des enfants durant la Seconde Guerre mondiale. C’est un sujet qui est arrivé à la fin des années 1980. C’est l’apparition du travail sur les mémoires dans l’école publique ; et tout le reste a suivi. Il faut le restituer dans cette chronologie. Tout le monde s’est dit : l’État français n’est pas que bon et bienveillant, il a une histoire douloureuse et complexe. On le voit bien avec Vichy, puis ensuite avec la Guerre d’Algérie. Après, on redécouvre l’esclavage. Donc il faut réussir à intégrer dans la réflexion globale la question de l’Algérie dans l’ensemble des enjeux mémoriels de la société française. C’est à mon sens l’un des éléments de compréhension de l’enseignement de la Guerre d’Algérie en milieu scolaire. C’est comprendre qu’au sein de la société française, il y a des choses que l’on peut dire et d’autres pas, même si c’est en train d’évoluer actuellement.
Pierre Wiehn : Je rappelle que Lydia Aït Saadi Bouras a écrit une thèse dont le titre est « La nation algérienne à travers les manuels d’histoire algériens ». Vous êtes donc à même de nous dire, de nous décrire, ce qui se passe en Algérie.
Lydia Aït Saadi Bouras : En premier lieu, il convient de préciser que ce n’est pas la même Histoire qui est enseignée en Algérie. On y enseigne non pas l’histoire de la Guerre d’Algérie, mais l’histoire de l’indépendance du pays. On est donc dans une Histoire qui n’est absolument pas comparable avec celle enseignée en France. La mémoire à partir de laquelle on écrit l’Histoire est différente. Par ailleurs, les systèmes scolaires en France et en Algérie sont également différents, même si le système algérien est l’héritier du système français. Mais il a été réformé plusieurs fois, quatre fois exactement, et les contenus scolaires ont été non seulement arabisés mais également algérianisés. En ce qui concerne les auteurs de cette Histoire enseignée en Algérie et que l’on trouve dans les manuels scolaires, ils sont choisis par les organes du ministère de l’Éducation nationale. Ils sont secondés d’ailleurs par les anciens « patrons » de l’association des anciens Moudjahidines, qui continuent à avoir une certaine influence et possèdent des liens très forts avec le ministère de l’Éducation nationale, surtout en ce qui concerne cette Histoire et son mode de transmission. La place qu’occupe cette histoire de l’indépendance dans le cursus scolaire est primordiale et centrale dans l’enseignement de l’histoire nationale. On l’apprend depuis les classes primaires, du moins depuis le début des années 2000, à partir de la résistance à la colonisation française. En fait, cet enseignement est répété dans chaque classe de l’école primaire, du collège et du lycée. Dans les classes de fin de cycle, CM2, troisième et terminale, on insiste plus particulièrement sur la guerre d’indépendance.
Pierre Wiehn : Si j’ai bien compris, il n’existe qu’un seul manuel, c’est cela ?
Lydia Aït Saadi Bouras : En effet, le système éducatif algérien est différent du système français puisqu’en Algérie il n’y a pas de choix offert en ce qui concerne les manuels. Il n’y en a qu’un par matière reconnu par l’Office National des Publications Scolaires (ONPS) et il est rédigé en arabe. Les contenus sont rédigés par des professeurs en activité, des universitaires et des inspecteurs. Ils sont donc tous des fonctionnaires de l’État.
Pierre Wiehn : Est-ce vraiment de l’Histoire ? C’est une question que l’on peut se poser aussi bien à propos de l’Algérie que de la France. Le contexte de cette guerre était tellement passionnel qu’elle a fait naître des grands espoirs mais aussi de grandes douleurs des deux côtés. De plus, entre ces deux côtés, il existait une marge où l’on ne savait pas avec qui on était. En tout cas, c’est ce que j’ai constaté sur le terrain à cette époque-là. On ne sait pas si la rigueur historique peut être développée actuellement dans le corpus même, dans la connaissance, dans la transmission de cette connaissance. En France comme en Algérie, cela existe-t-il ? Commençons par l’Algérie. Ce qui est enseigné va-t-il au-delà de la propagande ?
Lydia Aït Saadi Bouras : Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre rapidement à une telle question car elle est assez complexe. On est, en Algérie, dans une société qui est basée sur la mémoire orale. Il est vraiment compliqué de dire que c’est vraiment de l’Histoire et qu’il n’y a pas de sentiments, alors même qu’il y a implication des anciens combattants dans l’écriture de cette histoire, même s’ils ne sont là que pour faire acte de témoignage. À la lecture du manuel, on ressent forcément une espèce de distorsion par rapport à une histoire factuelle et froide. Après, je ne suis pas certaine qu’en France, l’histoire enseignée de cette période soit beaucoup plus neutre. D’autre part, c’est une histoire très chauvine. Elle est faite de l’héroïsation du peuple qui a pris les armes et qui a résisté à la colonisation française. Il n’y a pas de figure de héros, c’est du moins le cas jusqu’à la fin des années 1990. Maintenant il y a une nouvelle histoire, qui est écrite et transmise à travers les nouveaux manuels et qui fait ressurgir les figures particulières des Pères fondateurs de la nation et les héros de cette guerre d’indépendance. Par ailleurs, il faut toujours prendre en compte le rôle de l’enseignant. Il ne faut pas oublier que les pratiques de classe sont bien loin de la théorie, de ce que l’on trouve dans les manuels scolaires. Il est donc bien difficile de dire que cela se déroule de la même manière dans toutes les salles de classe. Enfin, il y a toujours la disposition, la liberté que possède l’enseignant, sa formation, son vécu et la mémoire qu’il a, en tout cas, celle dont il a hérité de cette période et qui va forcément l’influencer. Je pense qu’une telle situation se retrouve pour toutes les périodes de l’histoire nationale et dans toutes les classes ailleurs dans le monde.
Pierre Wiehn : Benoît Falaize, en France, on a connu le bon roi saint Louis, le courageux Vercingétorix… On a tout un roman qui était enseigné par l’Histoire. Nous avions des héros formidables ! C’est ce qui est constitutif en partie de la légende française. Actuellement, existe-t-il encore quelque chose qui ressemble à ce roman ? Ou n’y a-t-il qu’une volonté de délivrer objectivement des faits historiques ?
Benoît Falaize : Cela fait beaucoup de questions ! Commençons par celle des héros. Vous avez cité saint Louis et Vercingétorix. Mais vous en avez oublié un, qui était autrefois l’un des héros de l’école républicaine : Bugeaud ! Si l’on regarde l’histoire de l’enseignement de l’Histoire dans l’école républicaine, on se rend donc compte des héros présentés aux enfants. Il y avait une très belle thèse sur la manière dont l’Algérie était présentée en Ardèche. On se rend très bien compte, à travers les cahiers d’élèves, les inscriptions et les recommandations des inspecteurs et des conseillers pédagogiques, que l’Algérie est trois départements à part entière. On se rend compte que l’Histoire qui est dite est une histoire chauvine : elle repose sur l’apologie du modèle républicain mais aussi celle de la colonisation. Les deux sont absolument liées : il n’y a pas de République sans colonie, on l’a totalement oublié. C’était la gauche qui portait les colonies à un moment de l’histoire, parce que c’était un rôle émancipateur : tout cela est contenu dans les manuels scolaires. De même que l’on justifie la colonisation, on exalte la mère patrie, on travaille en permanence dans ce sens. Il faudrait pouvoir évoquer tous les héros qui étaient mobilisés : évidemment saint Louis, qui en plus a eu la délicatesse de mourir à Tunis, et cela lui donne un ancrage maghrébin. C’est fondamental dans l’idéologie républicaine.
Pierre Wiehn : Qui se charge du contenu des manuels ?
Benoît Falaize : Il faudrait pouvoir distinguer ce qui est dans les programmes, mais aussi ce qu’il y a dans les manuels scolaires. En France, au contraire de ce qui se passe en Algérie, le marché des manuels scolaires est libre, il est commercial, il ne dépend pas de l’État. Ce dernier ne fixe aucune règle en ce qui concerne l’élaboration des manuels scolaires, il n’y a aucune censure : ce sont les éditeurs qui exercent la censure ou les équipes d’auteurs qui s’autocensurent. Il y a une sorte de consensus qui s’installe. Mais on voit bien qu’en fonction des éditeurs et des groupes d’auteurs, on n’a pas la même écriture, même si l’on retrouve des lieux communs !
Pierre Wiehn : Quels sont les programmes officiels en Algérie ?
Benoît Falaize : Cela n’a pas encore été évoqué jusqu’ici, mais la Guerre d’Algérie est dans les programmes scolaires de l’école primaire depuis 2002, après en avoir été effacée. En effet, jusqu’en 1960, on y apprend la colonisation algérienne, et avec bonheur : « Nous avons là trois départements magnifiques… » et suit l’exaltation de l’Algérie, comme de toutes les autres colonies. Et les élèves de France, d’Ardèche, de Tours ou de Caen, de pointer sur une carte les richesses comme les oliviers et autres ! Il faudrait toujours pouvoir distinguer de quoi on parle exactement. Parle-t-on des pratiques scolaires en fonction de la connaissance du sujet par les professeurs ? Celle-ci peut parfois être immense. Prenons un exemple. De 1945 à 1971, il n’y avait pas la Guerre d’Algérie au programme dans les collèges. Mais cela empêchait-il un professeur d’histoire, plutôt militant, plutôt de gauche, plutôt communiste éventuellement, de parler de Charonne, d’évoquer le 17 octobre 1961 ? Pas du tout. On a des témoignages de cela. On sait que certains enseignants en parlaient dans leur classe. Mais comment le mesurer statistiquement ? Impossible ! C’est cela qui manque le plus, une sorte d’analyse exhaustive des pratiques de classe. C’est le plus difficile. C’est ce que l’on appelle dans les sciences de l’éducation la « boîte noire ».
Pierre Wiehn : Que cache-t-on dans les pratiques de classe ? Peut-on réellement faire de l’histoire en classe ? En fait-on ou pas ?
Benoît Falaize : Je dirais que c’est de l’histoire, mais de l’Histoire confrontée au contexte mémoriel des siens. Jusqu’en 1945, les plus grands historiens étaient mobilisés pour écrire l’histoire de l’Algérie. On avait d’excellents pédagogues, d’excellents historiens, d’excellents anthropologues qui connaissaient parfaitement le monde berbère, qui connaissaient parfaitement l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et qui étaient tout à fait à l’aise avec les connaissances scientifiques les plus pointues de l’époque. Puis il y eut un deuxième temps, celui de 1945 à 1971. Après la Seconde Guerre mondiale, la France a préféré ne pas inscrire dans ses programmes scolaires une seule mention en Histoire sur l’Algérie. Pourquoi ? Parce qu’on sait bien qu’après 1945 et surtout après Sétif, il y a eu une sorte de mouvement critique très fort qui n’est pas seulement venu d’Algérie mais qui est venu aussi de l’intérieur de la société française et des enseignants, avec un regard plus compliqué sur « l’œuvre française », comme on disait à cette époque. De la même manière, je le rappelle, jusqu’en 1960, on ne traitait pas de la Seconde Guerre mondiale. On comprend bien pourquoi : dès que cela devient problématique, le ministère a tendance à vouloir « refroidir » la question. Et puis le renouveau scolaire de l’enseignement de la Guerre d’Algérie, c’est vraiment après, c’est-à-dire 1971 pour le collège et 1983 pour le lycée. Et là, pour un colloque, j’ai fait le recensement exhaustif, c’est-à-dire concrètement, j’ai lu tous les manuels scolaires et compté le nombre de signes, de documents, les légendes des images, les titres, etc.
Pierre Wiehn : Quelles observations en avez-vous tirées ?
Benoît Falaize : On se rend compte qu’il y a des héros qui émergent. L’un des premiers, c’est le général de Gaulle, c’est le héros de la Guerre d’Algérie. Il l’est à double titre. D’abord il arrive en Algérie et déclare « Je vous ai compris » ! Même si l’on explique bien dans les manuels scolaires que l’on ne sait pas trop ce qu’il a voulu dire. Mais il est aussi le héros parce qu’il a fait quitter la France du « bourbier algérien » comme c’est parfois écrit. Ici, je cite, il y a des guillemets dans tout ce que je dis. Je ne donne aucun point de vue personnel, d’ailleurs je n’en ai aucun. Le mot « bourbier » apparaît dans les manuels scolaires dès 1983-1984. L’idée répandue selon laquelle on n’enseigne pas la Guerre d’Algérie dans les écoles françaises est fausse. À mon sens, les manuels de lycée les mieux écrits sont ceux qui datent des années 1983-1989, parce que la plupart des équipes sont plutôt des équipes d’enseignants, plutôt de gauche, centre gauche – ce n’est pas pour cela que c’est bien écrit, qu’il n’y ait pas d’ambigüité –, des gens très investis dans la vie publique métropolitaine, qui parfois ont fait leur service militaire en Algérie, qui parfois ont eu leur premier poste à Alger ou à Constantine et qui ont du coup une sorte d’affinité avec l’Algérie. Ils sont dans une écriture la plus minutieuse possible, d’autant plus que la plupart sont des lecteurs du Monde – vous savez, du temps où l’on lisait les journaux, où Le Monde tirait à huit cent mille exemplaires, où l’on découpait les articles – et donc ils ont une connaissance extrêmement fine de la Guerre d’Algérie. Ils peuvent faire un manuel scolaire avec tous ces éléments. J’ai recensé tout cela dans mon analyse exhaustive et je me suis rendu compte que la foule d’évènements cités de 1983 à 1990 est sans commune mesure avec ce que l’on retient aujourd’hui dans les manuels scolaires. Il y a aussi une sorte de déplacement des héros. Par exemple, ceux qui sont cités en premier dans les manuels scolaires, ce sont les Pieds-Noirs, dès 1971 dans ceux du collège et dès 1983 dans ceux du lycée. Et puis, on voit apparaitre très progressivement d’autres catégories : d’abord les appelés (on trouve même des photos de contingent), puis, au tournant mémoriel des années 2000, apparaissent les harkis. Les derniers venus sont les Juifs d’Algérie, ce qui est très intéressant car du coup on voit bien comment les personnages cités évoluent en fonction des problématiques mémorielles. L’idée ici, c’est de montrer qu’il y avait des Juifs au Maghreb, ce qui est fondamental puisque l’une des questions que se posent les enseignants, c’est comment éviter l’antisémitisme maghrébin et comment faire pour qu’il y ait une sorte de « plaisir à vivre ensemble », pour reprendre les termes de l’Éducation nationale. Maintenant, en ce qui concerne les héros particuliers, comme Ferhat Abbas, Messali Hadj, ils peuvent apparaître encore dans les manuels scolaires, mais Bugeaud en a disparu : ce n’est plus le héros, il est même devenu l’antihéros. Le héros principal, c’est le FLN ; il est d’ailleurs cité autant de fois que le général de Gaulle. C’est vraiment l’opposition général de Gaulle / FLN qui domine.
Pierre Wiehn : Si j’ai bien compris, l’Histoire que l’on enseigne aujourd’hui, c’est une histoire avec un « s », c’est-à-dire que selon le moment, selon les sensibilités dominantes dans l’opinion, c’est plutôt celle-ci ou plutôt celle-là. On est passé de la casquette de Bugeaud à se demander « qui porte le chapeau » !
Benoît Falaize : Vous avez raison sur l’expression « qui porte le chapeau ». En effet, on voit bien qu’on passe, dans la dynamique mémorielle de l’écriture scolaire de l’Histoire, vers quelque chose qui est de l’ordre de la culpabilisation ou de la « recherche des responsables ». Mais, tout de même, afin de nuancer ce point de vue, je voudrais dire un mot sur les moutures des derniers manuels scolaires, qui m’ont frappé. Ceux qui sont sortis après 2008, donc les plus récents, sont excellents. On a un niveau d’écriture de l’histoire de la Guerre d’Algérie tout à fait remarquable. Les découpages, les développements, les ensembles documentaires sont bien choisis. On a des moments de récits où l’on raconte vraiment cette guerre. Et je pense qu’on commence, dans les écoles françaises, à sortir des frilosités, des ambigüités et des tabous.
Lydia Aït Saadi Bouras : Si je puis me permettre, il y a certaines choses que je trouve positives : toutes les maisons d’édition ont pris contact avec moi pour les dernières moutures de leur manuel. Cela prouve qu’il y a un intérêt pour ce qui se fait ailleurs. Sans forcément me demander beaucoup de choses, ils s’intéressent finalement à une histoire qui n’est plus seulement française, on est donc dans un partage de l’Histoire.
Benoît Falaize : On va peut-être arriver à l’idée d’une Histoire commune, après tant d’années ! Peut-être que c’est maintenant, par le biais de la recherche scientifique, par le biais de ceux qui s’intéressent à l’école, qu’on va pouvoir réussir à écrire une histoire commune. Il faut savoir que depuis près de quinze ans il y a dans l’air l’idée d’un manuel scolaire commun franco-algérien ! Mais cela va se faire progressivement, et j’y participerai, croyez-moi.
Lydia Aït Saadi Bouras : Pour que ce soit un manuel scolaire d’histoire vraiment utilisable dans les deux pays, il faudrait se mettre d’accord sur la façon de se dire que c’est de l’Histoire effectivement, trouver un consensus sur la façon de transmettre, notamment sur les méthodes de transmission qui sont vraiment très différentes. Surtout, il faut bien se rendre compte qu’on n’est pas dans la même Histoire.
Pierre Wiehn : Je crois qu’on n’a pas encore évoqué un élément majeur. L’histoire ne se fait plus à l’école, elle se fait à la télévision : avec ses multiples émissions historiques, elle est devenue un terrible concurrent pour les enseignants ! Non seulement elle projette des images mais elle apporte des appréciations. Aussi ne sentez-vous pas votre pouvoir d’enseignement de l’Histoire mis en danger, et si c’est le cas, comment y remédier ?
Aleth Briat : Tout d’abord, ces émissions historiques télévisées ne sont pas un danger car les jeunes ne les regardent pas. On peut, en tant que professeur, les encourager à regarder telle ou telle émission ; mais qu’ils aillent d’eux-mêmes chercher leur « pâture historique » à la télévision n’est pas d’actualité. En revanche, on se sert de bien d’autres choses, comme le cinéma. La projection d’un film peut être suivie d’une discussion, d’un débat, et avec la Guerre d’Algérie aujourd’hui, on a de quoi faire. On se sert également de la venue de témoins dans nos classes, comme on peut le faire avec un déporté des camps de concentration, et de plus en plus maintenant, donc, avec des témoins de la Guerre d’Algérie. On a de multiples moyens afin de capter l’attention des élèves.
Benoît Falaize : Aujourd’hui, en tant que parent, on obligerait presque nos enfants à regarder ces émissions… mais ils préfèrent aller sur Internet ! Du coup, on est dans une logique où les savoirs sociaux, le savoir de la famille, celui des copains, les rumeurs prennent le pas, dans certains endroits, sur le savoir scolaire proprement dit. Là, il y a un véritable défi. Comment remettre en valeur la parole de l’enseignant ? Il y a ici une histoire de renversement que l’on n’a pas encore réussi à placer du point de vue historique et qui concerne la parole authentique fondée sur le savoir scientifique. C’est seulement très récemment que les jeunes collègues peuvent disposer de tels travaux historiques sur la Guerre d’Algérie, mais cela n’empêchera jamais la concurrence avec les autres savoirs. On le voit bien en classe ! On repère tout de suite en classe qui a de la famille côté Pieds-Noirs, qui a de la famille côté Algérie avec ses revendications algériennes. Généralement, ceux du côté des familles de Harkis sont plus discrets, mais pas partout.
Pierre Wiehn : Voulez-vous dire que des tensions se font jour en classe ?
Benoît Falaize : C’est-à-dire qu’on sent bien qu’il existe des tensions entre les différentes mémoires, mais dès qu’un professeur est assuré de ses pratiques et de son savoir scientifique, toutes ces tensions volent en éclats. Quelqu’un qui connaît parfaitement le sujet n’est jamais désarçonné par une question provocatrice d’un élève de quinze ans ! Comment un adolescent de quinze ans pourrait remettre en cause le pouvoir scientifique de l’enseignant ? Ce n’est pas possible ! Il y avait auparavant des difficultés parce que, pendant des années, des enseignants étaient très mal à l’aise. Au cours de la première enquête que j’ai menée, entre 2000 et 2003, auprès du milieu enseignant, et qui portait sur l’enseignement de la Guerre d’Algérie, tous les enseignants disaient la même chose : « On est complètement démunis face aux guerres de décolonisation, on n’y connaît rien. Dans notre cursus de formation, il n’y a jamais rien eu sur ce sujet, il n’y a pas de chaire d’études coloniales. On n’a jamais eu de stage de formation continue sur ce sujet… ». Et là, forcément, face à des gamins remontés, de quatorze-quinze ans, qui n’ont qu’une idée, excusez l’expression, celle « d’emmerder le prof ! », l’enseignant se trouve en difficulté. Aujourd’hui que ces derniers peuvent maîtriser les savoirs scientifiques, cela va être plus difficile pour les élèves ! C’est pour cela que l’idée de bâtir un récit commun permettra de repartir sur une autre dimension pédagogique.
Lydia Aït Saadi Bouras : J’en reviens au contexte algérien qui est complètement à l’opposé du contexte français dans l’éducation. Si j’ai bien compris, vous avez l’impression qu’en France, les élèves ne s’intéressent pas tellement à cette question. En Algérie, depuis le début des années 1990 et même un peu avant, la jeunesse souffre d’une crise identitaire forte qui l’a poussée à la recherche de cette histoire. On a parlé d’histoire confisquée, d’indépendance confisquée, qui a porté cette jeunesse, aujourd’hui trentenaire, à participer à l’écriture de cette phase de l’Histoire, qui ressemble quasiment à l’ensemble de l’Histoire de cette nation. Je veux dire par là que l’on a l’impression que toute l’Histoire de cette nation est comprise dans la colonisation et la décolonisation. De ce fait, la concurrence historique et mémorielle est très importante. La parole du maître, par exemple, n’est absolument pas sacrée, en tout les cas pas en histoire. On ne le respecte pas ; on a peur de lui. L’institution représente quelque chose de fort, un peu comme dans les années 1950-1960 en France, mais il n’y a pas le respect du savoir de l’enseignant. « Rien ne nous dit qu’il en sait plus que nous, puisque mon grand-père, ma grand-mère ont vécu cette période. L’enseignant ne l’a pas vécue ! En fait, ce qu’il nous raconte, il l’a lu dans le même manuel que celui que j’ai ! » Le manuel scolaire en Algérie n’est pas sacré, il n’y a que le Coran qui le soit. Tout ce qui émane des ministères n’est pas crédible. On est à la limite du rejet de tout ce qui est officiel. On étudie cette histoire parce que c’est obligatoire, mais le savoir on le cherche partout ailleurs, à la télévision, sur Internet, dans la famille, etc.
Pierre Wiehn : Dans le manuel scolaire commun, aborderez-vous la question de la colonisation de façon détaillée ?
Benoît Falaize : La question coloniale n’est pas aussi approfondie que cela. Ainsi, Abd-el-Kader était l’un héros des livres d’histoire en France jusqu’en 1945. C’était l’un des grands personnages de cette colonisation, c’est-à-dire un homme admirable, expert dans l’art de la guerre, capable de diriger ses hommes de manière efficace et toujours dans l’idée de défendre l’honneur. En revanche, la violence de la conquête n’était pas expliquée, ou presque pas. Aujourd’hui les étudiants et les enseignants peuvent travailler sur ce sujet ! Ainsi, il y a quelques années, j’avais écrit, pour un éditeur dont je tairais le nom, un chapitre sur la colonisation. J’y avais évoqué les derniers travaux historiques sur cette période, j’évoquais même le racisme colonial et expliquais concrètement en quoi il consistait, sans porter de jugement. L’éditeur n’a pas voulu que le mot « racisme » apparaisse ! Et c’était il n’y a pas très longtemps… Donc, il y a du travail à faire à ce sujet.
Lydia Aït Saadi Bouras : Je pense qu’on ne doit pas oublier qu’il faut toujours en revenir à l’objectif énoncé dans les manuels et l’institution scolaire. L’enseignant en histoire a pour but de faire un « roman national », de magnifier cette histoire pour rendre l’élève fier de son histoire, et pas le contraire. Ainsi, certaines phases ne sont pas évoquées. Par exemple, les violences du FLN, la guerre fratricide et d’autres choses n’y apparaissent pas. En revanche, tout ce qui est violence coloniale est exposé, traité largement, parce que le but, encore une fois, c’est d’héroïser sa propre histoire.
Pierre Wiehn : Mais, ce n’est pas de l’Histoire !
Lydia Aït Saadi Bouras : J’en reviens à cette question : fait-on de l’Histoire en classe ? Je répondrais Non. Ce n’est pas de l’Histoire, c’est de l’histoire scolaire, ce qui est différent !
Pierre Wiehn : Passons aux questions du public.
Public : Toute colonisation a eu des aspects positifs et négatifs. Si manuel scolaire commun il y a, il ne faudrait pas l’oublier. De plus, en ce qui concerne la repentance, je pense que c’est plutôt le temps du pardon, des deux côtés, qui est souhaitable.
Pierre Wiehn : Il n’y a pas de raison de ne pas être optimiste. Par exemple, il y a une très belle maison à Mascara. Lorsque vous regardez la façade, il y a une belle mosaïque où sont inscrites les lettres « M. C. », Maison Coloniale. Et c’est là que les hommes sont superbes, car elle devenue la Maison de la Culture. On est passé de la culture coloniale à une culture partagée. Avec l’âge, on s’aperçoit qu’une fois les passions apaisées, les souffrances cicatrisées, finalement l’homme découvre qu’il arrive à trouver des chemins d’accords et d’échanges. Je ne vois pas pourquoi ce qui était vrai pour la Seconde Guerre mondiale ne le serait pas pour la Guerre d’Algérie. Ce n’est qu’une question de temps.
Public : Quelles sont les réactions des élèves face aux actions de résistance, de violence, de tortures, etc. ?
Lydia Aït Saadi Bouras : Il n’a pas de polémique avec les élèves sur ce sujet. Le professeur donne les faits historiques et il n’y pas de contestation comme ils peuvent le faire sur d’autres sujets. En revanche, les difficultés ne sont pas d’ordre polémique mais d’ordre conceptuel. Les élèves ont beaucoup de mal à comprendre les errances de la politique gaullienne. Ils découvrent que les acteurs de l’Histoire peuvent changer d’avis avec les évènements.
Benoît Falaize : Ce que vous évoquez, c’est l’inverse de l’Histoire, telle qu’elle peut être, entre blanc et noir : les Algériens tous indépendantistes d’un côté et les Français tous colons de l’autre. Vous êtes sur les zones grises de l’Histoire, c’est-à-dire ces acteurs de l’Histoire qui sont des Algériens qui ne veulent pas de l’indépendance et des Français métropolitains qui sont opposés à la politique coloniale. Quand les enseignants entrent dans cette zone grise, ils ont toujours l’adhésion des élèves car on pénètre ici dans la complexité de l’Histoire. On montre que ce n’est pas parce qu’on est Français et colon qu’on est un abominable salaud, tout comme un Algérien du FLN ne l’est pas forcément aussi. On peut évoquer toutes les postures possibles. Je suis frappé du fait qu’en faisant mon analyse de l’ensemble des manuels scolaires parus de 1971 à nos jours, sur la Guerre d’Algérie, les personnages médians ne sont presque jamais évoqués sauf, peut-être, dans les dernières versions. Ce sont pourtant ces personnages qui font la complexité de l’histoire : Albert camus n’est jamais cité, alors qu’on a là une figure extraordinaire de la littérature française mais aussi de l’Histoire française. Ainsi, des gens qui exercent un pouvoir critique à l’égard de la violence qui s’exerce sont capables de résister dans une posture individuelle et collective en disant « Moi, j’aime l’Algérie. Moi, je me sens algérien ». Comment pouvait-il en être autrement ? Et faire rentrer les élèves là-dedans, c’est les amener à une analyse extrêmement fine de la situation algérienne, c’est par là qu’on peut faire entrer les élèves dans les processus complexes de l’Histoire, leur faire comprendre qu’il n’y a pas de jugement a posteriori, c’est impossible. Un gamin de quinze ans aujourd’hui, comment peut-il porter un jugement sur des évènements vieux de cinquante ans si on ne lui montre pas les difficultés de se situer à l’époque ?
Pierre Wiehn : Auriez-vous un autre exemple à nous donner ?
Benoît Falaize : Les jeunes étudiants d’Alger dans les années 1954-1960, on sait bien que beaucoup d’entre eux ont basculé dans l’indépendance en 1961–1962, mais jusqu’en 1960–1961, ils sont dans un rapport très compliqué face à la situation du FLN, face au terrorisme. Un contre-exemple peut être cité : les instituteurs algériens. Beaucoup d’instituteurs sont partis en Algérie se sentant pleinement dépositaires de la civilisation française, des valeurs morales de la France. Ils se heurtent à quoi lorsqu’ils sont dans le « bled » ? Ils se heurtent à l’administration coloniale française. Ils vont ainsi devenir les premiers éléments de la résistance à cette administration ; ils vont aider les familles algériennes qui ne veulent pas lire et écrire le français. Une bonne partie de l’école d’Alger va même rédiger le programme d’histoire avec le ministère algérien de 1962–1963, car ils ont pris fait et cause pour l’indépendance. Si on ne montre pas ces personnages, qui sont finalement assez nombreux, on n’aborde pas l’esprit complexe de l’Histoire. Ce sont ces exemples que l’on devrait intégrer massivement dans les manuels scolaires et dans la conscience historique des enseignants.
Public : Pour ma part, je fais un constat un peu différent de ce qui a pu être dit précédemment. Je trouve que l’histoire de la Guerre d’Algérie aujourd’hui commence à être connue. Il faut d’abord en remercier les historiens et les chercheurs. De ce point de vue, une question porte sur leur formation. Ensuite, où il y a un travail considérable de fait, c’est celui de la transmission et du témoignage. Je fais partie d’une association qui fait des interventions dans les collèges et les lycées, quand les enseignants le demandent, et non pas l’Éducation nationale. Dans cette période du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, qui n’a pas été célébrée officiellement en France, se sont déroulés beaucoup de débats avec nos amis pieds-noirs et de rencontres qui ont favorisé la connaissance de cette histoire. L’intérêt que je relève des rencontres avec les enseignants et les élèves, c’est qu’il y a une soif de connaissances sur ce sujet.
Public : Pourquoi la question de l’Algérie, colonisation et indépendance, n’a pas été dite mieux et plus tôt ?
Benoît Falaize : La colonisation est constitutive du nationalisme politique et de la République française. Je vais prendre un exemple qui pose d’énormes problèmes aux élèves. Si vous évoquez le 8 mai 1945, vous avez de Gaulle qui est le héros, le libérateur de la France, de l’Europe, mais aussi, vous expliquez que dans le même temps, il y a les évènements de Sétif. Comment voulez-vous que les élèves comprennent ? C’est un salaud ou un héros. Et là, ils sont au cœur d’une des problématiques de l’Histoire française. Finalement, c’est terriblement simplifié si vous voulez, mais c’est une véritable question. D’ailleurs tous les intellectuels des années 1950–1960 n’ont cessé de le dire : « Comment la République peut-elle piétiner ses valeurs et comment a-t-elle pu le faire ? » Il est fondamental de l’expliquer, mais pour des enfants qui sont encore dans l’ébullition de leur âge, c’est beaucoup plus complexe à comprendre.